понедельник, 17 августа 2009 г.

La Russie et la civilisation européenne

La Russie et la civilisation européenne
L. Léouzon Le Duc
PARIS
MDCCCLIV

Préface
C'est une rude tâche que d'écrire aujourd'hui sur la Russie : si vous êtes sympathique, on vous traite de félon ; si vous êtes hostile, on vous accuse d'exploiter l'occasion. Le moyen, pourtant, de rester neutre? Il faudrait pour cela ou trop de naïveté, ou trop d'ignorance, ou trop de rouerie. C'est l'affaire des dupes, des auveugles ou des diplomates.
Предисловие
Писать в наше время о России очень неблагодарная задача: если вы пишите сочувственно, вас обвинят в предательстве, а если вы проявляете враждебность, вас обвинят в подличанье. Значит, следует оставаться нейтральным? Но для этого нужно быть или слишком наивным, или слишком невежественным, или слишком беспринципным. Это дело или дураков, или слепцов, или дипломатов.
Quant à nous, nous avons agi simplement, sans nous préoccuper si on nous regarderait comme un ami ou comme un ennemi de la Russie, comme un partisan de la neutralité absolue ou comme un champion de l’intervention décisive ; nous avons écrit ce que nous dictait notre conscience, ce que nous croyions être la vérité.
Bien nous en a pris.
Jusqu'à présent, nous n'avons eu contre nous que des Russes de l’école d'Osten-Sacken ou que des gens qui ne se doutent même pas de ce que c'est que la Russie.
Ces derniers ont demandé sérieusement « s'il ne faudrait pas se défier, peut-être, de nos investigations. »
Qu'en savent-ils?
L'irritation des Russes se comprend mieux, ils sont dans le cas de légitime défense. Du reste, nous n'avons pas la prétention de leur faire la loi. Quand on peut, avec un seul homme et un seul canon, tenir en échec, pendant toute une journée, deux grandes flottes coalisées, on est évidemment au-dessus de toute atteinte.
Cependant, nous devons le dire , à mesure que l’opinion s'est éclairée, elle s'est rangée de notre côté.
Notre Question russe, vieille déjà d'un an, acceptée tout d'abord en Angleterre et en Allemagne, traduite en Suède jusqu'à la dernière lettre, mais jugée en France trop violente, trop prématurée; notre Question russe la emporté enfin.
Ah ! nous dit-on , nous écrit-on èe toutes parts, vous aviez bien raison quand vous affirmiez :
Que le prince Menschikoff n'était qu'un brûlot;
Que les diplomates ne réussiraient à rien ;
Que la Russie voulait la guerre, et qu'on aurait la guerre.
Notre Russie contemporaine a eu la même chance. Un seul reproche nous a été adressé à l'occasion de cet ouvrage, c'est d'y avoir poussé trop loin... la modération.
Ainsi la lumière se fait, les esprits marchent. Mon Dieu! nous n'ignorons pas tout ce qu'il en coûte pour sortir d'une voie, même fausse, lorsque depuis longtemps déjà on s'y trouve engagé; nous n'ignorons pas eombien est naturelle la colère qu'excitent les importuns qui s'acharnent à vous désillusionner. La Russie avait si bien réussi à enguirlander l’Europe ; tant d'hommes supérieurs se complaisaient dans l'adoration de son omnipotence et des hautes qualités qu'ils prétaient à son gouvernement ! c’était là comme un doux oreiller, sur lequel ils se promettaient de reposer de longues années encore. Et vous venez brusquement secouer leur sommeil, vous venez déchirer le satin moelleux de cet oreiller et montrer qu'au lieu de duvet il ne renferme que des épines!..
Nous le dirons franchement : ce n'est pas sans de grands efforts que nous nous somnàes aussi décidé nous-méme à prendre part à cette tâche délicate.
Depuis plus de douze ans, nous faisions du nord de l'Europe, et de la Russie en particulier, l’objet spécial de nos études. Nous avions visité la Russie quatre fois, et à chaque fois, notre séjour y avait été long.
Or, on ne s'occupe pas d'un même pays pendant tant d'années sans y prendre un vif intérêt, on ne le visite pas si souvent sans y contracter des liaisons qui obligent. D'ailleurs, chargé trois fois de missions du gouvernement, nous avions dû engager, en Russie, avec plusieurs personnages officiels, des rapports dont nous avions toujours eu lieu de nous applaudir ; de gracieux témoignages nous y étaient venus, en outre, des hautes régions du pouvoir, en retour de nos travaux académiques déjà publiés, ou d'un splendide présent que nous avions obtenu de notre gouvernement, en faveur de l'université de Finlande.
Sans doute , au milieu de tout cela , nos yeux ne restaient point fermés; nous profitions, le plus qu'il nous était possible, des facilités dont nous jouissions, pour soulever le voile doré qui flottait devant nous et démêler les réalités des apparences.
Certes, ce n'était point la chose facile; tous ceux qui sont allés en Russie dans un but sérieux le comprendront.
Les Russes ont une si grande habileté à jeter, comme on dit, de la poudre aux yeux!
Tantôt, comme s'ils voulaient vous forcer à les oublier pour ne penser qu'à vous-même, ils vous flatteront dans ce que votre amour-propre peut avoir de plus chatouilleux.
En 1842, M. d'Arlincourt, visitant la résidence impériale de Tzarskoe-Célo, fut introduit dans la chambre qu'occupait l'empereur Alexandre.
Cette chambre était encore telle que le tzar l’avait laissée le jour de son dernier départ pour Taganrog.
Au milieu était un bureau, et sur le bureau un livre ouvert.
Sur l’invitation du cicérone, M. d'Arlincourt jeta les yeux sur ce livre.
O surprise ! c'était le Solitaire.
M. d'Arlincourt sortit de Tzarskoe-Célo convaincu que la dernière pensée de l’empereur Alexandre, en quittant sa belle villa pour se rendre au lieu où il devait mourir, avait été pour lui.
Les Russes se sont applaudis longtemps de cette plaisanterie.
D'autres fois, le Russes vous aveugleront complètement, tout en ayant l’air de vous mettre le flambeau à la main.
Ainsi, rien de plus facile, pour un voyageur de distinction qui veut visiter la Russie, que d'obtenir du gouvernement ce qu'on appelle un feldjeger, c'est-à-dire une sorte d'officier de poste chargé de vous faire servir des chevaux aux relais, et de vous aplanir les difficultés de votre exploration.
Ce feldjeger, qui tient un peu, beaucoup même, à la police, s'acquitte à merveille de son emploi. Seulement, si vous n'y prenez garde, il vous montrera tout le contraire de ce que vous voudriez voir. Nous avons entendu citer un étranger qui, pour s'épargner les complaisances importunes de son guide officiel, le grisait mortellement avec de l’eau-de-vie a chaque station qu'il voulait explorer.
— Quoi donc ! nous disait en 1846 un ancien ministre à la veille de notre départ pour la Russie, où nous allions remplir une mission commerciale, vous voulez aller dans ce pays-là faire des études de commerce?
— Sans doute.
— Mais il n'y a rien, absolument rien à y voir !
— Cependant...
— Oh ! mon fils y est allé tout récemment, et je vous assure qu'il n'y a rien vu, rien du moins qui mérite qu'on se dérange...
— Votre fils n'a peut-être fait que passer...
— Pardon ! il est bien resté deux ou trois mois à battre le territoire russe ; on lui avait même donné un cicerone attaché à la poste pour lui faciliter ses recherches ; et, malgré cela, je vous le répète, il n'a rien vu.
En effet, il eût été difficile que le fils de ce ministre vît quelque chose.
Les Russes ne se contentent pas de ces moyens détournés pour vous masquer leur pays. Ils ont encore recours à des dissimulations positives.
Pendant notre séjour à Saint-Pétersbourg, en 1840 ou 1847, quelques officiers prussiens y arrivèrent de Berlin, chargés par leur gouvernement d'étudier l'organisation des escadrons de la cavalerie de la garde.
L'empereur Nicolas les reçut avec cette haute politesse qui le caractérise et les combla de prévenances.
— Vois-tu ces messieurs? dit- il en allemand en les présentant à un officier de sa garde : ils me sont envoyés par mon frère de Prusse pour étudier nos escadrons ; je t'ordonne de les leur montrer comme à des frères !
Puis, prenant l'officier à part, il ajouta en russe :
— Tu les leur montreras comme tu dois les montrer.
L'officier comprit.
Il se rendit sur-le-champ chez tous ses camarades, emprunta aux autres des chevaux, aux autres des hommes, à ceux-ci des uniformes, à ceux-là des harnais, et de tout cela composa un escadron comme jamais on n'en avait vu.
Le lendemain, au sortir d'un somptueux déjeuner où les Prussiens avaient fait amplement honneur au Champagne, l’escadron fut exhibé.
On s’imagine facilement le succès qu'il obtint.
— Eh bien, dit le confident de l’empereur à ses convives, tous les escadrons de la garde lui ressemblent.
Il n'y avait rien à répliquer.
Ces exemples, que nous pouvons multiplier encore, suffisent pour donner une idée des difficultés que rencontre en Russie tout voyageur qui se propose d'étudier sérieusement le pays. Ce n'est qu'après un long séjour, qu'après des observations cent fois contrôlées, qu'il peut réussir à échapper au labyrinthe dans lequel on se plâtt à l'égarer.
Nous avons passé nous-méme par toutes ces épreuves, et quand, à force d'attention consciencieuse, de laborieuse persévérance, nous parvînmes enfin à fixer notre opinion, la considération des agréments que nous avions goûtés dans la société russe et le souvenir des prévenances dont nous y avions été l'objet, nous causèrent un vif embarras. Cet embarras redoubla surtout quand nous nous décidâmes à écrire.
D'abord, nous fîmes une sorte de compromis avec notre conscience : pour en concilier les exigences avec celles de notre délicatesse, nous nous bornâmes a des écrits d'érudition ou de littérature : témoin notre ouvrage sur la Finlande, notre Saison de bains au Caucase, nos Études sur la Russie et le nord de l’Europe, etc. Si les affaires politiques ne fussent point venues si brutalement dominer la situation, peut-être eussions-nous persévéré dans cette voie. Mais qui pourrait aujourd'hui se parquer dans un simple rôle d'érudit ou de littérateur?
Or, du moment où nous nous décidions à étudier la Russie sous le rapport politique, notre situation se modifiait radicalement. Il ne s'agissait plus pour nous de caresser des souvenirs personnels, de ménager des sympathies toujours chères ; nous sortions du champ des affections particulières pour aborder celui des intérêts généraux : nous devions donc être absolument vrai.
Et voilà pourquoi nous avons écrit la Question russe et la Russie contemporaine , pourquoi nous avons écrit la Russie et la civilisation européenne.
Ici, nous prenons la Russie dans les mystères de sa vie intérieure, dans l’effervescence de son rayonnement extérieur ; c'est un jugement à découvert et sans arrière-pensée. Si nous avons des actes à flétrir, des tendances à anathématiser, à qui la faute?
Qu'on ne vienne donc plus nous reprocher, comme quelques-uns l’ont fait, d'écrire contre la Russie par dépit ou par vengeance. Outre que ces reproches sont ridicules, ils ne sauraient nous atteindre. Nous n'avons contre la Russie aucun dépit, parce qu'elle ne nous a laissé aucune déception; nous n'avons contre la Russie aucun désir de vengeance, parce qu'elle ne nous a fait aucun mal et qu'elle nous a toujours libéralement donné ce que nous lui avons demandé. Encore une fois, il ne s'agit point ici d'une question personnelle, mais d'une question générale. Nous faisons de la politique et non du sentiment, de la conscience et non delà politesse.
Amicus Plato, sed magis amica Veritas.
Paris, 1er juin 1854.

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